Jaisalmer, une ville hors du commun en Inde du Nord

Indienne Jaisalmer Inde Les Boomeurs

Les Boomeurs vous emmènent à Jaisalmer dans l’État du Rajasthan, en Inde du Nord, avec Patrick Compas, écrivain-voyageur et photographe.

Jaisalmer Rajhastan Patrick Compas Les Boomeurs

 

Qui connait l’Inde ou devrais-je plutôt dire les Indes ?

Entre les différentes régions de ce pays, rien ne se ressemble, tout est unique en son genre. Pierre Loti avait raison : « Mais rien n’étonne plus, en ce pays où tout devient toujours spectacle imprévu pour les yeux, fantasmagorie, changeant mirage » (L’Inde sans les Anglais, 1903). Je suis à Jaisalmer, ville proche de la frontière avec le Pakistan, l’éternel pays rival à cause des maladresses diplomatiques des Anglais durant les anciennes colonies britanniques. Pourtant ici, à la porte du désert du Thar, de ses caravanes de dromadaires à Pushkar en partance pour la Chine, l’Arabie puis l’Orient, plus que jamais l’histoire prouve que l’interculturalité demeure à travers un patrimoine architectural constitué de palais somptueux, de demeures nommées Havelî appartenant aux riches commerçants, et de la diversité ethnique hors du commun.

Jeune indienne Jailsamer Inde Les Boomeurs

La beauté des gens, des genres, vêtements multicolores portés avec une élégance magnifique, femmes subtiles, pudiques se cachant derrière leur voile transparent fixé à leurs tuniques de soie laissant parfois entrevoir leur sourire ou un regard séducteur aux yeux en amande, aux bijoux pendentifs partant de la narine jusqu’à l’oreille, le raffinement féminin est absolu. Hommes fiers, sensuels, coiffés de turbans colorés, aux boucles d’oreilles en or accrochées aux lobes qui nous rappellent soudainement le faste des dynasties Râjasthânis, des Maharanis et Maharadjas d’autrefois. Cependant le Rajasthan souffre, entre traditions et mondialisation, violences des conditions de vie extrême pour les castes les plus faibles, recherche de finances pour la conservation d’un héritage patrimonial pour les familles nobles, tout cela sous le regard des dieux Hindous, peuple adorateur de Brahmâ, Shiva, de Vishnou et Ganesh entre autres.

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L’Inde est un vieil éléphant dont la trompe se balance depuis des siècles entre l’Orient et l’Extrême-Orient, n’ayant jamais craint le Tigre Occidental

Axe commercial sur la route de la soie, Jaisalmer est une escale maritime incontournable. Je me faufile entre les ruelles de la vielle ville classée au patrimoine de l’humanité tout en zigzagant entre vaches sacrées, chiens clochards errants, singes farceurs et scooter-taxis nommés Rickshaw. Je me concentre dans cette immersion exigeante en essayant de parler hindi à des gens vivant dans la fatalité de leur destin. Le temps se fige, n’existe plus, n’a aucune importance, l’essentiel demeure dans le présent. Jaisalmer transcende, on est dans l’art de vivre, l’œuvre d’un peintre, une scène de théâtre à ciel ouvert au quotidien.

Musiciens Jaisalmer Rajhastan Inde Les Boomeurs

Multi-ethniques ; Sikhs, Rajputs, Kalbelia, Bhopa-Bhopi, Raika, Bishnoî. Le Rajasthan, entre danses et musiques sacrées exprimant chacune des histoires bien particulières et spécifiques, louanges d’un passé aux traditions ancestrales, riches d’invasions, de métissages, de mélanges des populations, des religions, à la recherche de la quintessence, d’une spiritualité à l’apogée d’un polythéisme compliqué, presque inaccessible pour le commun des mortels, entre Soufisme et Hindouisme. Exotisme, fascination, mysticisme, « rêveries d’un promeneur solitaire » à la recherche d’une réponse inexistante, utopique, surréaliste, pouvant se transformer en cauchemar. Celui de la réalité, passant des volutes d’encens de bois de Santal aux parfums nauséabonds de la pollution du quotidien, au coin de chaque rue. Jaisalmer est une divinité envoûtante, ensorcelante, que l’on adore puis que l’on déteste par la suite, son amour exaspérant, son âme éreintante restant inaccessibles pour celui ou celle qui refuserait de s’abandonner à un angle de vue Occidental.

Temple Jaisalmer Rajhastan Inde Les Boomeurs

Car la problématique est bien là, il faut s’abandonner afin de pouvoir comprendre le pourquoi du comment. Comme un rite initiatique. Qui êtes-vous ? Cependant qui suis-je ? Il faut ouvrir la porte en bois nacrée, faite de marqueterie d’ivoire à la dorure fine, incrustée de pierres précieuses des temples anciens, prendre le temps d’engager une longue conversation, discussion avec les sages, Sâdhu ou Fakir. Puis savoir contempler, s’infiltrer dans le quotidien des gens, pratiquer l’introspection, la discrétion, s’immerger avec le regard du débutant, objectif et neutre. Tout est lié, tout s’assemble comme un immense puzzle dans lequel chaque pièce à son importance, sa place, sa position.

“On apprend plus par ce que les gens disent entre eux ou par ce qu’ils sous-entendent, qu’on pourrait le faire en posant bien des questions.” (Rudyard Kipling)

J’ai décidé ce jour-là de me taire, de ne rien écrire, d’écouter, d’entendre, de voir, puis d’essayer de percevoir l’impénétrable comme une quête divine, une prière, un hymne à la curiosité. Alors soudainement, je me suis jeté dans les bras de Shiva en la fixant droit dans les yeux, sans un mot, en silence, en implorant son pardon tout comme la légende de Ramâ et Sitâ, Krishna et Radha.

C’est seulement à cet instant-là, que j’ai compris que l’Occident en particulier la France et le Royaume Uni depuis des siècles, malgré le colonialisme, n’avaient jamais rien compris à l’Inde, aux Indes. Une ignorance totale fondée sur le mépris et le manque de réflexion pour ne s’être jamais posé les bonnes questions au bon moment.

La société indienne et encore plus au Rajasthan est fondée sur le système des castes, système complexe, hiérarchisé, aux règles très précises et rigoureuses. Rien à voir avec l’esclavage, l’asservissement ou bien encore le système de classe sociale. L’article 15 de la Constitution de l’Inde interdit les discriminations fondées sur les castes, mais celles-ci continuent de jouer un rôle majeur dans la société contemporaine. Selon François Gautier : Dans l’Inde ancienne, les castes représentaient un système qui distribuait les fonctions au sein de la société, comme ce fut le cas des corps de métier dans l’Europe du Moyen Âge.

Vache sacrée Jaisalmer

Cependant les Britanniques se sont empressés de jouer sur l’ambiguïté des termes en favorisant les plus riches aux détriments des plus pauvres, afin de protéger leurs intérêts en valorisant et soudoyant notamment les nobles du pays, les Maharadjas et Maharanas, les riches commerçants, installant au fur et à mesure un empire de type dictatorial. Quant à la France et ses comptoirs sa « Compagnie des Indes Orientales » crée par Colbert en 1664 n’a fait qu’assoir une fois de plus comme en Afrique sa suprématie de colonialiste en pratiquant un commerce pas vraiment équitable à cette époque, bouleversant l’économie du pays basé sur les échanges entre la Chine, le monde Arabe, l’extrême Orient, les épices, la soie, la porcelaine etc…

Je m’installe devant une petite échoppe au coin de la rue, et commande un Tchaî Massala, un thé Assam au lait mélangé aux épices. Je songe soudainement à ce parcours historique si loin de Paris et de la turpitude superficielle et banale de mon peuple, tout de même plutôt privilégié dans ce bas monde il me semble, qui ne cesse de se plaindre à longueur de journée pour de simples détails liés à son existence.

Toutes les inventions jolies et charmantes pour ceux qui ont les moyens d’en jouir valent-elles, vraiment, la somme de misère et de souffrance que nos civilisations produisent ? Il faut se garder de vouloir uniformiser les mentalités. Toutes immatérielles et fragiles qu’elles paraissent en présence des faits brutaux, les idées demeurent plus longtemps. Elles survivent aux hommes, aux cataclysmes de la nature et de l’histoire.” expliquait Alexandra David Néel dans ses ouvrages.

Si l’on me demande quelle image du pays ressort en premier lorsqu’on vous parle du Rajasthan ? Je répondrai : une Royal Enfield sur une route, avec une famille de quatre personnes en costumes traditionnels à vive allure, slalomant entre les vaches sacrées plantées au milieu de la circulation, qu’il faut absolument éviter d’écraser au nom des dieux vénérés, si on souhaite avoir un bon karma par la suite. Le regard et le sourire des enfants intouchables, vivant dans des conditions indignes de l’existence humaine, pourtant s’amusant comme les autres, en riant comme si de rien n’était.

Une grande leçon de vie, de sagesse, de modestie et d’humilité pour celui qui vit en Occident

Ce qui est certain, c’est que l’on ne revient plus jamais de la même manière chez soi, après un voyage aux Indes, car ce qui dérange c’est l’insupportable, l’injustice, la fatalité, c’est ainsi et pas autrement inexorable. Comme le disait un homme hors du commun, Mohandas Karamchand Gandhi, « Nul Homme qui aime son pays ne peut l’aider à progresser s’il ose négliger le moindre de ses compatriotes ».

Patrick Compas

Jaisalmer, Rajasthan, Novembre 2018

©photos : Patrick Compas

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