« Par coeur »,
de Gilles Kneusé, ou le souffleur malgré lui

 

Avant d’être acteur, Gilles Kneusé fut chirurgien. Un parcours de vie atypique, comme on dit dans les magazines. Plus encore lorsque l’on découvre, avec son premier récit Par coeur, un formidable comédien qui se révèle bouleversant écrivain. 

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L’auteur nous plonge dans les coulisses du théâtre, de la vie, de celle aussi d’un acteur qui a marqué l’histoire du cinéma et de la scène française, confronté avec l’âge à des problèmes de mémoire. Une histoire « vécue », comme on dit encore, que l’on dévore comme une tragi-comédie menée de main de maître par Gilles Kneuzé, la plume sur le cœur.

Si l’on vous dit « gigot », cela vous évoquera sans doute l’une des scènes cultes du cinéma français des années 70, et sans mépris aucun, vous devinerez rapidement quel acteur évoque Gilles Kneusé, qui pudiquement ne cite pas son nom dans Par cœur. Un immense comédien, dans tous les sens du terme. Le type qui en impose. On avait eu la chance de le voir en 1981 dans La Cerisaie de Tchekhov, mise en scène par Peter Brook au théâtre des Bouffes du Nord, balancer un grand coup de pompes à un impudent spectateur placé au premier rang, qui avait eu l’exécrable idée de poser ses pieds sur le bord de la scène. L’acteur lui siffla alors entre deux répliques un glaçant « Vous vous croyez où ? ». C’était lui.

Et c’est bien lui que l’on retrouve dans Par cœur, apostrophant un dramaturge qui perturbe une répétition de Minetti, la pièce de Thomas Bernhard mise en scène par André Engel en 2008, dans laquelle Kneusé joue un réceptionniste d’hôtel à ses côtés. La pièce se produira à Paris au Théâtre national de la Colline l’année suivante. Ce sera la dernière apparition du géant sur scène.

Souffleur malgré lui, c’est ce que devient Gilles Kneusé, qui conviendra avec l’acteur, au moment des répétitions, de combler ses trous de mémoire par tous les moyens possibles et imaginables. On ne vous en dira pas plus sur ce qui se déroule lors de la première. L’auteur connaît ses classiques et sait ménager le suspense pour tenir le lecteur en haleine. Mais Par cœur est d’abord une extraordinaire déclaration d’amour au théâtre et à la vie. Plus on avance dans ce court récit, et plus on pense à Renoir et à Carné. Kneuzé écrit comme les scénaristes d’antan, on retrouve dans ses pages des scènes hilarantes avec les « copains des coulisses », des portraits de bistrots de nuit parisiens brossés avec la tendresse d’un Prévert et l’œil bienveillant d’un Doisneau, des dialogues ciselés avec ce géant qui s’inquiète de sa mémoire, et parle de son art et de son vécu avec une émotion infinie.

Si l’on était retors, on conseillerait ce livre à tous les fans de Grey’s Anatomy, de Molière et de Voici. Avouez que ça fait déjà un sacré lectorat. Plus sérieusement, Par cœur est un vrai coup de cœur. Les occasions sont trop rares de découvrir un auteur aussi sensible et talentueux, on a hâte de lire son prochain opus.

 

Alain Granat

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Comédien et metteur en scène, Gilles Kneusé a joué dans des mises en scène de Gérard Desarthe (Lorenzaccio d’après Musset, Électre de Giraudoux), Anne Alvaro (L’Île des esclaves de Marivaux), Jérôme Kircher (Je sais qu’il existe aussi des amours réciproques d’après Romain Gary), Patrick Pineau (On est tous mortels un jour ou l’autre d’Eugène Durif), David Géry (Fahrenheit 451 d’après Ray Bradbury), André Engel (Woyzeck de Georg Büchner, Le Jugement dernier d’Ödön von Horváth, Le Roi Lear de Shakespeare, La Petite Catherine de Heilbronn de Kleist, Minetti de Thomas Bernard, La Double Mort de l’horloger d’après Ödön von Horváth). Il met en scène L’Épreuve de Marivaux pour le CDN de Savoie et adapte pour la scène un roman de Louis Guilloux, Coco perdu, qu’il joue, seul en scène, au Théâtre du Lucernaire puis en tournée. Au cinéma et à la télévision, il a joué dans Lignes de Front et Agatha Christie contre Hercule Poirot de Jean-Christophe Klotz, Pour elle de Fred Cavayé, Quand je serai petit de Jean-Paul Rouve, Five, d’Igor Gotesman.

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