Stéphane Verdino, de la création de sacs à la mode vintage,
portrait d’un jeune Boomeur

Stéphane Verdino est un tout jeune homme de 50 ans, charmant, attachant et serein. Après avoir créé sa marque de sacs, plébiscitée par des femmes et hommes qui aimaient leur style à la fois minimaliste, moderne et chic, il s’aventure aujourd’hui avec Hôtel Tokyo, son magasin de vêtements vintage, dans une nouvelle période de sa vie. L’occasion de tirer son portrait pour Les Boomeurs.

Stéphane Verdino

Comment se sent-on à 50 ans tout juste ?

Stéphane Verdino : Vachement bien ! Sans rire ! Après tout dépend comment on aborde la cinquantaine… Je ne suis ni malade, ni seul, ni désespéré… Je suis en pleine forme, amoureux, avec un job, et c’est plutôt bien ! En vrai, cette cinquantaine a été un peu une délivrance. Elle justifie un certain nombre de choses.

Quel genre de choses ?

Stéphane Verdino : Maintenant j’ai le droit de dire que je suis un vieux con ! Ça fait un bien fou… J’ai le droit de dire qu’à mon âge je ne changerai pas, donc ça justifie un certain nombre de mes défauts (rires). J’ai le droit d’aller me coucher à 22h30 – ce que je fais depuis très longtemps ! – mais maintenant j’ai le droit de le faire ! Voilà… J’ai le droit de ne pas aller à la salle de sport… plein de choses quoi ! Ça donne vraiment ce côté « j’ai 50 balais, me faites pas chier ! » (rires). Vous voyez ce que je veux dire ? C’est pas maintenant que je vais me mettre à écouter telle ou telle musique ou à apprendre telle ou telle langue… C’est une sorte d’igloo dans lequel on se réfugie aisément et c’est plutôt vachement agréable.

Comment définiriez-vous un Boomeur ?

Stéphane Verdino : Il n’y a pas de règles, j’ai des amis qui ont 30 ans, qui vont se coucher avant moi et qui ont des idées absolument épouvantables, de celles qu’on pourrait avoir quand on est très vieux. Et à côté de ça, j’ai des types comme Renaud Pellegrino qui a 75 ans, est habillé en Heidi Slimane pour Dior Hommes et à qui ça va merveilleusement bien, qui bosse tous les jours et qui est plus moderne que moi ! Après, on est des « oignons ». Toutes les couches dont nous sommes faits nous servent. Je ne pense pas qu’on puisse vraiment qualifier un Boomeur, mais il y a des choses qui sont immuables… Si on est dans la cinquantaine aujourd’hui, c’est qu’on est forcément né dans les années 60 (rires) !

Et là, on peut être la plus ringarde ou moderne des personnes, ça ne change pas !

Donc c’est vrai, un jeune Boomeur comme moi a des références culturelles qui sont la naissance du ska, de la new wave, des punks… Quand j’avais 12 ans, c’était les Sex Pistols, et puis on a vu arriver le funk dans son côté le plus éclatant, l’acid, la house… Toutes ces choses là, ce sont encore des couches, et c’est génial parce que ça nous permet d’avoir une espèce de connaissance, voire de reconnaissance, car c’est souvent ce qu’on voit aujourd’hui dans la rue, ce qu’on écoute dans les clubs… Quand je vois ce merveilleux film, 120 battements par minute, avec cette bo des Bronski Beat, Jimmy Sommerville, ce sont des choses que je vivais à ce moment là, j’étais habillé pareil, une chemise à carreaux et des Paraboots ou des Dr Martens. Quand je vois les gamins dans la rue avec leurs « Docs », ça m’amuse beaucoup, parce que je vois les ficelles, et c’est cool !

Vous avez la nostalgie de cette période ?

Stéphane Verdino : Je n’ai aucune nostalgie, ni frustration. Mais alors, s’il y a un mot que j’ai beaucoup de mal à prononcer, c’est bien celui-là, « nostalgie » ! J’ai fait des choses à 20 ans qui étaient super, j’en ai fait à 30 ans qui étaient absolument géniales, la quarantaine m’a plutôt réussi… Quand j’ai créé Stéphane Verdino j’avais 36 ans, à 40 ans j’avais 3 boutiques à Paris, une à Tokyo… zéro frustration ! Je trouve que chaque période est synonyme, si on l’aborde avec sérénité, de joie… On n’a pas encore l’âge d’avoir d’énormes problèmes de santé, on est encore très mobile…

Stéphane Verdino

Les histoires de « crises » de la quarantaine, cinquantaine, un cliché ?

Stéphane Verdino : Non, je crois qu’il y a des gens pour qui c’est un vrai problème. Quand tu te réveilles à 50 ans avec la bonne femme ou le bonhomme à côté de toi qui, d’un seul coup, ne t’inspire plus rien, que tu n’as plus envie de serrer dans tes bras… mais je ne crois pas que ce soit une question liée à la cinquantaine. Sauf que tu peux te dire « j’ai 50 ans, il me reste 25 années à venir de façon à peu près correcte… Est-ce que je me contente de ça par habitude, par gentillesse, par bienveillance… Ou est-ce que je me jette dans le vide, et je vais chercher ailleurs un truc qui me fera vivre, rire, bander… » Et ça, ça dépend de l’état dans lequel tu es. Tu peux avoir le même sentiment à 30, 40 ans… C’est vrai, ce sont des caps importants, où tu réfléchis, tu mets un petit coup de marche arrière, un petit regard dans le rétro, pour te dire « est-ce que j’en ai fait assez ? ».

Quelque chose en particulier vous a fait prendre conscience du cap de la cinquantaine ?

Stéphane Verdino : Non, je me suis endormi à 49, je me suis réveillé à 50 ! Je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait eu grand chose de changé… Je ne suis pas devenu un vieux monsieur, mais parfois on passe devant le miroir et on se dit « tiens, qui c’est celui-là ? » mais c’est parce qu’on avait pas préparé l’angle, la lumière (rires).

Comment vous voyez-vous dans 10, 20 ans ou plus ?

Stéphane Verdino : Comme aujourd’hui, mais en plus. Ma « reconversion professionnelle », qui m’offre beaucoup de joies en ce moment, a des possibilités d’évolutions très importantes. Je pense que dans 10 ans, j’aurai nettement avancé dans ce chemin que je viens de prendre. J’aurai un lieu beaucoup plus grand, je ferai beaucoup plus de conseil sur des stratégies de marques, sur du vintage aussi…

À 50 ans vous changez de profession, pourquoi ?

Stéphane Verdino : Après des déboires d’association, j’ai perdu mon nom, la société dans laquelle je travaillais, ce qui est arrivé à plein d’autres Boomeurs d’ailleurs ! J’avais tout eu : ma tête dans les magazines, les boutiques, avoir piloté Renaud Pellegrino pendant 14 ans… Vraiment, sur le plan professionnel, je n’avais plus aucune frustration. Alors plutôt que de faire des « sous-modèles » Stéphane Verdino, j’ai préféré changer de métier. Ça faisait très longtemps que j’avais envie de faire du vintage, j’en collectionnais depuis longtemps aussi,  je m’intéressais à la mode des années 70 et 80, jusqu’à aujourd’hui. Je suis toutes les tendances, tous les matins devant mon ordi, je regarde à peu près 1h de mode. Je me réveille avec ça, je me nourris de ça ! J’ai aussi cette culture de mode d’obédience plutôt minimaliste, avec des maîtres à penser qui sont Martin Margiela, Yoji Yamamoto, Raf Simons, Anne Demeulemeester… toute cette école belge plus l’école japonaise, qui à mon avis fonctionnent très bien ensemble.

Stéphane Verdino

C’est un peu comme ça que j’ai démarré, en récupérant des pièces de gens que j’aime infiniment, comme Helmut Lang. Et puis au rythme des rencontres que j’ai faites avec des personnes qui voulaient me déposer des vêtements, et avec des collectionneurs, je me suis mis à m’intéresser aussi à d’autres écoles, qu’elles soient italiennes, anglaises, françaises… Et maintenant j’ai des pièces de Vivian Westwood, de Marni, de Jean-Paul Gaultier, Balenciaga, Givenchy… Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment de limites, au point que de très jeunes créateurs, qui sortent d’école, me montrent des choses qui me font craquer ! Je vais avoir des protos d’une jeune créatrice chinoise, j’ai très envie de mixer vintage et créations en vente directe. Beaucoup de gens rentrent ici parce qu’ils voient du Chanel, Prada, Valentino… sur les portants. Si on leur glisse de temps en temps des pièces qu’ils ne connaissent pas, ils vont les regarder avec le même intérêt, avec la même curiosité. On réussira à leur faire passer des messages qu’ils n’auraient pas entendu de la même manière si c’était dans un autre contexte. On ne peut pas se contenter de la mode des années 70, 80, 90 et même 2000…

Stéphane Verdino

Vous pensez exporter le concept ?

Stéphane Verdino : Si je réussis, comme je le prévois, à continuer à collecter le plus possible de pièces, je pense que je pourrai aller à Séoul, Hong Kong, Tokyo… en Asie parce que c’est ce que j’aime, et faire des pop-up stores dans ces trois villes pour commencer, ça peut être vraiment génial ! Leur amener du Gaultier, du Dior, et même du japonais vintage, ça peut être très drôle aussi !

Cette nouvelle vie professionnelle arrive à point à 50 ans ?

Stéphane Verdino : C’est un peu la justification de ce que j’évoquais tout à l’heure : j’ai 50 ans, je m’autorise à changer de vie ! Je m’autorise à ne pas culpabiliser de laisser mon métier précédent un peu de côté, même si je continue à travailler pour des gens qui me demandent conseil… J’ai plus de 30 ans d’activité derrière moi et une expertise de ce métier. Je travaille actuellement avec Marie-France Cohen pour son nouveau concept « Démodé », je lui ai développé toute une ligne de maroquinerie…

Et à nouveau, le fait d’avoir 50 ans m’amène à prendre plus de plaisir à défendre d’autres designers, voire d’autres noms, plutôt que ma pomme !

J’ai un peu inventé quelque chose au début de ces années 2000, avec des sacs qui étaient super minimalistes et qui n’existaient pas à l’époque. J’ai l’impression, non pas d’avoir fait le tour de mon métier, mais en tout cas d’en avoir fait suffisamment pour aujourd’hui dire « voilà, j’ai eu ma maison, je suis allé au bout de mon truc, de la manière dont je voulais le présenter, sous mon nom patronymique, donc je me suis vraiment foutu à poil ! Ça a fonctionné, c’était formidable, maintenant que j’ai eu cette expérience là, je peux la passer aux autres, et je prends du plaisir à montrer des choses, plus que les miennes ».

Vos conseils pour une cinquantaine épanouie ?

Stéphane Verdino : La bienveillance. C’est la bienveillance qui sauvera le monde, c’est d’arrêter un peu de juger, et d’essayer de comprendre les autres, ce qu’ils désirent, cherchent. S’entourer de gens bienveillants, et tout ce qui est toxique, le mettre à la poubelle ! Si possible, ne pas avoir d’addictions, quelles qu’elles soient et surtout surtout, la bienveillance ! Comment pourrais-je l’expliquer… Choisir qui l’on a envie de voir, quand on le veut, dans quelles conditions, se faire plaisir avec une bonne bouteille de vin si on aime ça, avec un bon poulet au four si on aime ça aussi, avec des copains, essayer de voir sa famille aussi tant qu’elle est là, et vraiment de la bienveillance. J’ai un garçon dans ma vie qui a 20 ans de moins que moi, mais qui est d’une bienveillance totale à mon égard, et moi au sien. C’est ça qui nous permet de tenir. Il ne faut pas courir en permanence à vouloir être plus que les autres, toujours mieux ! Au bout d’un moment, stop !

 

Entretien réalisé par Alain & Arielle Granat

HOTEL PARIS-TOKYO, 18 rue Charlot, 75003 Paris

 

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