Le flamboyant théâtre de Simon Abkarian

L'envol des cigognes Simon Abkarian

Impressionnant comédien, Simon Abkarian est aussi un auteur et metteur-en-scène de théâtre prodigieux. Avec son diptyque intitulé Au-delà des ténèbres et composé du Dernier jour du jeûne et de L’Envol des cigognes, qui se joue jusqu’au 14 octobre au Théâtre du Soleil, il emporte les spectateurs dans une « tragi-comédie de quartier » flamboyante, menée par une troupe de comédiens enthousiasmants, Ariane Ascaride en tête.

Simon Abkarian Ariane Ascaride

C’est dans un quartier méditerranéen, indéterminé, mais qui pourrait évoquer le Liban où le comédien a passé son enfance, que se déroule cette épopée en deux temps. La paix, d’abord, avec Le Dernier jour du jeûne, qui pose le décor de cette famille où règne le pater familias Théos (Simon Abkarian, d’une élégance rare), entouré de son épouse Nouritsa (Ariane Ascaride, formidable en maîtresse-femme amoureuse et maman-poule), et de ses enfants, un adolescent et deux filles, en âge de se marier. L’aînée, Zéla, incarnée avec délicatesse par Océane Mozas, est emplie de mysticisme, en quête de l’amour absolu au risque de demeurer sa vie entière célibataire, tandis que la benjamine, Astrig – qu’interprète avec fougue Chloé Réjon – affirme farouchement son indépendance et sa sensualité. Les deux sœurs ne cessent de se chamailler, qu’il s’agisse de politique, de sexualité, d’amour… sous les yeux attendris de leur père et exaspérés de leur mère. Autour, des murs blancs, du linge qui pend aux balcons, un jardin fruitier, la mer, des voisins et amis… Le décor – formé de cubes mobiles que les comédiens déplacent avec une incroyable énergie ! – semble familier, et après un prologue digne d’une tragédie grecque déclamé par Catherine Schaub-Abkarian, formidable en Sandra, sœur intello, rock’n’roll et féministe de Nouritsa, la « tragi-comédie » imaginée par Abkarian peut se mettre en place.

Le dernier jour du jeune Simon Abkarian

La grande force du théâtre de Simon Abkarian réside d’abord dans son écriture, unique. Il est sans doute aujourd’hui le seul auteur de théâtre français capable de manier la langue à la façon du théâtre antique et des grands classiques avec un naturel confondant, sans jamais tomber dans l’emphase ou la caricature, et de l’alterner avec des dialogues et répliques jubilatoires dignes d’un Pagnol. Son texte est à la fois profond et truculent, faisant basculer sans relâche le spectateur du rire à l’émotion.

La seconde partie, L’envol des cigognes, nous emporte dix ans plus tard dans la tourmente d’une guerre civile. Forcément plus sombre, mais haletante comme une saga, elle recèle aussi de scènes tragi-comiques où brillent particulièrement le personnage d’Aris (Assaâd Bouab), jeune « branleur » amoureux fou d’Astrig, et sa mère-célibataire Vava (Marie Fabre). Reste la violence et l’horreur, évoquée avec grâce et pudeur par le personnage d’Orna (Délia Espinat-Dief), et celui, magnifique, de Xenos, « réfugié » dans ce quartier et époux de Zéla. Le goût de la tragédie antique et de la fresque épique marque ce second volet, qu’Abkarian survole en chef de guerre grandiose, garant de la survie des siens. Reste aussi la folie des hommes, contre laquelle il ne peut rien, incarnée par le personnage de Fado (Serge Avédikian), chanteur qui a décidé d’hurler à la mort tel un chien, tant que durera la guerre.

Le dernier jour du jeune Simon Abkarian

Si l’auteur explique que l’on peut voir dans le désordre son diptyque, nous conseillerons toutefois aux spectateurs de le voir dans l’ordre chronologique, pour mieux encore apprécier l’évolution des personnages, que l’on a terriblement envie de retrouver dès la fin du premier volet. Au point de se demander quand Abkarian nous transportera dans la suite de L’envol des cigognes… 

On a enfin trouvé l’héritier de Jean Vilar. Il s’appelle Simon Abkarian, et porte haut les couleurs de son théâtre populaire, humaniste, empli de noblesse et rassembleur.

Alain Granat

«Le dernier jour du jeûne» et «L’envol des cigognes», jusqu’au 14 octobre au Théâtre du Soleil-Cartoucherie de Vincennes (Paris XIIe). De 20 à 35 euros, intégrale de 30 à 48 euros (01.43.74.24.08).

Photos © Antoine Agoudjian

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